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Merci pour le bel héritage que nous laisse la cinéaste Agnès Varda

Après avoir dit « Au revoir et à demain » à l’assistante avec laquelle elle travaille tous les jours à une nouvelle installation, la photographe, cinéaste et artiste visuelle Agnès Varda est décédée paisiblement dans son sommeil des suites d’un cancer le 29 mars dernier à 90 ans.
Cette petite femme à l’œil vif laisse derrière elle une œuvre unique et inimitable : 30 films, dont 18 documentaires ; 14 courts-métrages tournés entre 1955 et 2019 ; et bon nombre d’installations réalisées dans les années 2000.
Pourtant sa vie n’a pas été des plus faciles. Elle naît en Belgique en 1928 d’un père grec et d’une mère française. En 1940, elle fuit la guerre avec sa famille jusqu’à Sète au sud de la France. Dès la fin de la guerre, elle monte à Paris pour étudier la photographie à l’Ecole des Beaux-Arts et l’histoire de l’art à l’Ecole du Louvre. Jean Vilar, fondateur du Festival d’Avignon, né à Sète, lui offre son premier emploi de photographe à la fin des années 40. Puis elle rencontre un homme de théâtre, Antoine Bourseiller, qui devient son compagnon, avec lequel elle a une fille, Rosalie Varda, en 1958.

Débuts au cinéma

Auparavant, Agnès a réalisé un film décisif : « La Pointe courte » sorti en 1955. Tourné avec peu de moyens dans sa ville de Sète et la complicité des habitants, deux amants, les acteurs Philippe Noiret et Sylvia Montfort, déambulent, au bord de la rupture. Alain Resnais assure le montage. A ses côtés, elle apprend la technique. Ce film a déjà toutes les caractéristiques de ce qu’on appellera « La Nouvelle Vague » : décors et lumière naturels, prise de son directe, sans scénario ni dialogue prédéfinis, mélangeant acteurs professionnels improvisant entre eux et avec les habitants du lieu. Des films autour d’un thème, entre documentaire et fiction. Pourtant ce n’est que très récemment que son nom apparaît parmi les cinéastes de « La Nouvelle Vague » et qu’elle est reconnue par les spécialistes. Et à ce jour, elle est la seule femme.
Dans la foulée de « La Pointe courte », elle tourne un documentaire et trois courts-métrages entre 1957 et 1958. Elle ne s’arrêtera plus de tourner dans des conditions identiques : elle connaît bien les lieux et les gens parce qu’elle y a séjourné longuement avant de sortir sa caméra et elle ne les filme qu’avec leur accord.

Rencontre avec Jacques Demy

En 1958, elle rencontre le réalisateur Jacques Demy. Ils ont un fils, Mathieu, et se marient en 1972. Jacques Demy adopte Rosalie. Ils ne se quittent plus jusqu’au décès de Jacques en 1990, officiellement des suites d’un cancer, en réalité du sida. Elle lui rend hommage avec trois films, une fiction, « Jacquot de Nantes » en 1991 et deux documentaires, « Les demoiselles ont eu 25 ans » en 1993 et « L’Univers de Jacques Demy » en 1995.
Mais leurs carrières artistiques se sont déroulées en parallèle, très personnelles et très différentes. Demy s’oriente vers les comédies musicales « à la française » avec le compositeur Michel Legrand, dont la forme est plus classique. De son côté, Agnès ne cesse d’expérimenter de nouvelles formes, mélangeant documentaire et fiction, pellicule et vidéo, noir blanc et couleur, acteurs professionnels, habitants des lieux et elle-même en voix off et/ou à l’image. Toutes les innovations techniques l’intéressent, en particulier toutes celles qui permettent d’alléger le dispositif de tournage et le nombre de techniciens (petites caméras vidéo puis numériques, prise de son discrète, etc.).

Un engagement chaleureux pour des causes du 20ème et du 21ème siècle

Chris Marker est le cinéaste dont elle se rapproche le plus pour cette curiosité et cette inventivité mais aussi pour son engagement pour des causes qui ont marqué la deuxième moitié du 20ème siècle et le début du 21ème. Son engagement n’est pas partisan au sens où elle prendrait parti pour un camp, un parti ou une tendance contre d’autres. Il est lié à sa détresse et à sa révolte de ce que vivent certaines personnes, certains groupes ou certaines catégories sociales qu’elle nous montre dans leur vie quotidienne et auxquels elle donne la parole dans des documentaires ou qu’elle met en scène dans des fictions. Sur un ton tout autre que celui de Jean-Luc Godard, par exemple.
Citons quelques uns de ses films majeurs.

Le tabou du cancer sur fond de guerre d’Algérie

En 1962, dans « Cléo de 5 à 7 », Agnès Varda s’attaque à un sujet tabou, le cancer, sur fond de guerre d’Algérie. Tourné en temps réel (2 heures) entre 5 et 7 heures de l’après-midi, Cléo attend avec une amie les résultats d’examens qui lui diront si oui ou non elle est atteinte d’un cancer et si son ami reviendra – ou pas – de la guerre d’Algérie avant qu’elle ne meurt. Agnès Varda touche le grand public pour la première fois avec ce chef-d’œuvre en noir et blanc, tourné avec de petits moyens.

Cuba, les hippies, la guerre du Vietnam, les Blacks Panthers

En 1963, elle réalise « Salut les Cubains », un joyeux documentaire de 30 minutes à partir de 1800 photos prises à Cuba lors du 4ème anniversaire de la Révolution.
En 1967, elle tourne un court-métrage documentaire « Oncle Yanco » sur ses retrouvailles avec son oncle grec, Jean Varda, peintre, qui vit sur un bateau-maison à San Francisco dans lequel il reçoit des hippies et des contestataires. En 1967 encore, Agnès Varda participe au film documentaire collectif contre la guerre du Vietnam, « Loin du Vietnam », réalisé par Chris Marker, regroupant Joris Ivens, Claude Lelouch, Alain Resnais, Jean-Luc Godard, William Klein et elle.
En 1968, Agnès Varda est à Oakland (Californie) où se déroulent des manifestations autour du procès de Huey Newton, un des leaders des Black Panthers. Elle en tire un documentaire de 30 minutes, « Black Panthers ».

Les luttes féministes pour l’avortement et la contraception en France

Après avoir signé le Manifeste des 343 salopes demandant la dépénalisation de l’avortement en 1971 (qui aboutira à la Loi Veil en 1975), Agnès Varda réalise « L’une chante, l’autre pas » en 1977. Ce film retrace l’histoire des luttes féministes pour le droit à la contraception et à l’avortement en France à travers l’amitié entre deux femmes de 1962 à 1976.
En 1962, Pauline, une jeune fille qui prépare le bac et veut devenir chanteuse est l’amie de Suzanne, plus âgée, qui vit avec Jérôme, un photographe, dont elle a déjà deux enfants et est enceinte d’un troisième. Trop pauvres pour nourrir les deux premiers, Suzanne décide d’avorter. Pauline emprunte de l’argent à ses parents pour payer l’avortement de son amie en leur mentant sur sa destination. Ils découvrent le mensonge. Elle décide de les quitter et de chanter. Jérôme, désespéré de ne pas arriver à gagner sa vie comme photographe, se pend dans son atelier. Suzanne retourne à la campagne vivre chez ses parents.
Les deux femmes ne se voient plus jusqu’en 1972 lorsqu’elles se retrouvent par hasard à Bobigny lors d’un procès spectaculaire sur l’avortement (dans lequel l’avocate franco-tunisienne Gisèle Halimi qui a aussi signé les Manifeste des 343 salopes, joue son propre rôle). Pauline s’appelle désormais Pomme, son nom d’artiste, et chante avec un groupe pour les droits des femmes. Elle a rencontré Darius, un Iranien, est tombée enceinte et a avorté à Amsterdam. Suzanne travaille pour le Planning familial, élève ses deux enfants (joués par Rosalie et Mathieu, les enfants d’Agnès Varda) et a une aventure avec un pédiatre marié. Elles se séparent de nouveau et s’envoient des cartes postales. Pomme suit Darius en Iran, l’épouse, attend un enfant et décide de revenir accoucher et vivre en France. Darius veut vivre en Iran et réclame l’enfant. Elle veut rester en France. Ils font un compromis : faire un 2ème enfant, un pour chacun. Suzanne épouse le pédiatre qui a divorcé. Toutes les deux ont lutté de pour leurs droits et leur liberté, chacune à sa manière.

Des jeunes prennent la route, des sans-abri meurent de faim ou de froid

En 1985, Agnès Varda réalise un nouveau chef-d’œuvre à partir d’un fait divers dramatique « Sans toit ni loi ». C’est l’histoire d’une jeune femme qui a pris la route un jour, sans argent, sans rien dire, tournant le dos à toutes celles et ceux qu’elle connaissait. On la retrouve un jour morte de froid et de faim dans un fossé entre deux cyprès en rase campagne. Le film commence par la fin, par le lieu de sa mort, les deux cyprès loin de tout au milieu d’un espace immense, laissé à l’abandon vers lequel s’avance lentement la caméra pour découvrir son corps recroquevillé, mort.
Puis Agnès Varda, en voix off parfaitement neutre, mène l’enquête en interviewant toutes celles et ceux qui l’ont vue, lui ont parlé, lui offert un abri, l’ont repoussée ou insultée dans la période précédant sa mort. On écoute successivement une spécialiste des platanes, un ingénieur agronome, une serveuse de bistrot et sa patronne, des gendarmes, un paysan, deux motards, un camionneur, une pompiste, un garagiste et d’autres encore. Ce portrait d’elle en creux à travers le regard des autres est d’une extrême violence : « Elle est jeune, en bonne santé, elle n’a qu’à travailler » ; « Elle pue, elle est sale, elle est dégoutante ». Le contraste avec le portrait en chaire et en os lorsque la cinéaste la met en scène en retraçant sa route à travers les champs, sur les routes, dans les villages, est lui aussi très violent. Cette jeune femme qui suit son chemin, ne dit pas grand-chose. Mais elle n’a rien de suicidaire. Son sourire est magnifique, elle explose de vie, s’amuse de ses mésaventures. Elle ne s’impose jamais. Si on ne veut pas d’elle, elle s’en fout !
Formidablement incarnée par l’actrice Sandrine Bonnaire qui s’est formée sur le tas, faisant de la figuration à 13 ans, s’imposant comme actrice à 16 ans. « Sans toit ni loi » est son 9ème film. Elle a 18 ans. Elle reçoit le César de la meilleure actrice pour son rôle dans ce film en 1986.

La récupération des déchets par les laissés pour compte

En 2000, Agnès Varda sort un documentaire « Les Glaneurs et la Glaneuse ». Elle s’intéresse à tout ceux qui récupèrent des restes de récoltes dans les champs pour se nourrir. Mais aussi à ceux qui dans les villes ramassent les fruits et légumes à la fin des marchés, récupèrent de la nourriture dans les poubelles. Et aux personnes qui récupèrent des objets, des déchets encombrants dans les rues pour les réparer et les réutiliser ou en faire des œuvres d’art. Ce sont des salariés, des chômeurs, des retraités, des jeunes, des moins jeunes ou des vieux. Son film est aussi une allusion à différentes toiles du 19ème siècle sur ce thème, qui dorment dans les caves du Musée d’Orsay.
Et la glaneuse, c’est elle avec sa nouvelle petite caméra qu’elle peut manipuler d’une seule main, tourner dans tous les sens et attraper des camions sur l’autoroute.

A 80 ans, Agnès retourne à ses plages

En 2008, elle a 80 ans et réalise un film documentaire autobiographique « Les plages d’Agnès » en remontant le temps au fil de l’eau des fleuves et des rivières, de Sète à Paris. Au fil des plages françaises de Sète et de l’île de Noirmoutier dans le Golfe de Gascogne, des plages belges de Knokke-le-Zoute, de La Panne, et de Californie. Et au fil des maisons où elle a vécu qu’elle revisite. Elle illustre ce retour en arrière avec de nombreuses photos, des passages de ses films ou de ceux de Jacques Demy, rassemble tout un bric-à-brac d’objets, de coquillages, de morceaux de bois, morceaux de mémoire, avec lesquels elle construit des dispositifs qui lui permettent de retrouver ses histoires et tous les hasards de la vie qui ont fait son bonheur.

Un photomaton géant dans les campagnes françaises

En 2017, « Visages, Villages » documentaire coréalisé par Agnès Varda et JR. Tout commence par une rencontre entre AV (Agnès Varda) et JR (initiales de son prénom, Jean-René). JR a 34 ans, est né à Montfermeil dans la banlieue parisienne et est un street artiste connu mondialement pour ses photos de très grand format, des portraits d’inconnus, qu’il colle sur les murs des grandes villes. Il se dit « artiviste urbain ». Ils se mettent d’accord pour coréaliser un documentaire en parcourant la France des villages avec son camion photomaton qui sort instantanément un portrait géant prêt-à-coller aux personnes qui le souhaitent. C’est magique ! Ils parcourent ainsi la France, des corons à moitié en ruine du Nord aux chantiers à l’abandon à l’Ouest, des usines désaffectées du Sud aux villages désertés à l’Est, filmant des habitants qui y vivent et collant leurs portraits géants visibles par tous, si possible de loin, sur un château d’eau, un silo à blé ou un reste de tour de guet. Le « street art » est sorti des villes. Ce film est très beau visuellement, à la fois grave et léger.

La fabrication de ses films

Sorti en 2019, « Varda par Agnès », est un film documentaire réalisé par Agnès Varda et Didier Rouget monté à partir de conférences pédagogiques au cours desquelles elle explique comment elle a fabriqué ses films sans scénario préalable, mais avec en tête un type de structure différente selon les thèmes qu’elle abordait et, sur le tournage, une idée très précise des images, des paysages, qu’elle voulait capter et de ce qu’elle voulait obtenir des acteurs – et actrices – professionnels et des non-professionnels. Ces deux causeries nécessitent un effort intellectuel qui vaut la peine.

Eliane Perrin
Abril, 2019

Ce dernier film est visible gratuitement sur ARTE jusqu’au 27.05.2019.

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Causeries 1

Causeries 2

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Escrito por

Dr. en sociologie, Eliane Perrin a été professeure et chercheuse en socio-anthropologie du corps et de la santé et en sociologie du sport aux Universités de Nice (France) et de Genève et de Lausanne (Suisse). Elle est à la retraite.

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Últimos comentários
  • Moi aussi je suis à la retraite. C’a me donne du temps d’apprécier Varda. Merci pour ton article
    Jose Luis Carneiro

  • Obrigada por me lembrarem de Agnes Varda que preencheu um bom bocado da minha juventude. De repente, lembrei-me dessa época. Não por saudades. Mas porque a tinha guardada em parte incerta do meu inconsciente!