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Quand des déesses grecques et des guerriers romains gardent la Montemartini

Faire d’une gigantesque centrale électrique un musée de statues grecques et romaine est un miracle qui ne pouvait se produire qu’à Rome. Partout ailleurs, les grandes usines de la fin du 19ème siècle ont été totalement ou partiellement vidées de leurs machines et transformées en musées d’art moderne.

Or la magie de la Centrale Montemartini tient au fait qu’on a conservé et entièrement remis à neuf ce monstre industriel de formes strictement géométriques tout en acier noir pour y exposer des statues antiques, grecques et romaines, de marbre blanc, drapées dans des toges ou d’élégants tissus aux plissés ondulants.

Aucun concept n’est à l’origine de ce projet mais un simple problème pratique. En 1995, on décide que les Musées du Capitole doivent être rénovés. Où entreposer ces chefs d’œuvres du patrimoine national pendant les travaux? Pourquoi pas à la Centrale Montemartini?

La Centrale Montemartini, inaugurée en 1912 par un conseil municipal progressiste, est la première centrale électrique de Rome et de sa région, qui fonctionnait au charbon puis à la vapeur. Elle sera agrandie et modernisée pour augmenter ses capacités de production en 1917, en 1924 et en 1933, année où Mussolini l’inaugurera une seconde fois. Après la guerre, elle s’agrandit une dernière fois en 1950, puis elle décline jusqu’à sa fermeture à la fin des années 60. L’usine à l’abandon devient un immense entrepôt avec une aile de bureaux.

Pour effectuer les travaux de rénovation des Musées du Capitole, il va donc falloir vider et nettoyer ces entrepôts avant d’y déposer les antiquités. Et pourquoi pas les exposer provisoirement? C’est ainsi qu’en 1999 a lieu la première exposition intitulée Les Machines et les Dieux à la Centrale Montemartini. Le succès est immédiat. Ca marche si bien que tout le quartier de la Via Ostiense au sud de Rome devient à la mode. Si bien qu’en 2005, à la fin des travaux du Capitole, la Ville de Rome décide de pérenniser les lieux et d’y ajouter des acquisitions récentes.

Signalons toutefois que les chefs-d’œuvre antiques les plus célèbres, les plus monumentaux et surtout les plus intacts sont retournés aux Musées du Capitole. Ce qui ne signifie pas nécessairement les plus beaux…

Centrale Montemartini
Centrale Montemartini

Pourquoi ce musée d’un genre nouveau marche-t-il si bien?

Tout y est impressionnant. Le silence d’abord, un silence de cathédrale, très inhabituel à Rome y compris au Vatican. Les visiteurs se taisent ou chuchotent, écrasés par les dimensions du bâtiment, le gigantisme des chaudières, des turbines à vapeur, des moteurs diesel, des tableaux de bord et des clés à boulon lourdes comme des massues préhistoriques. Les Temps modernes, dernier film muet de Charlie Chaplin (1936) nous reviennent à l’esprit. Avec ces images ressurgissent les ouvriers du début du 20ème siècle luttant avec (ou contre) ces engins démesurés dans une chaleur moite et huileuse, dans un vacarme assourdissant. Des vibrations à vous faire claquer des dents secouent les coursives. Un instant nous nous imaginons à la place des ouvriers. Ouf! Tout ça est maintenant du passé.

En effet, à la Montemartini, il n’y a plus d’ouvriers. Des statues grecques et romaines ont pris leur place, alignées régulièrement comme des soldats à la frontière. Contrairement aux ouvriers de Chaplin, elles tournent le dos aux machines, immobiles, d’un blanc immaculé. Devant ces monstres d’acier industriels, elles paraissent minuscules, délicates, fragiles, tout en courbes et en rondeurs, comme nous pauvres visiteurs. Ces Dieux et Déesses, ces Colosses, ces Victoires, ces champions des Olympiades ou des Jeux du cirque qui, sur leur piédestal, ont pu nous paraître bien plus grands dans un autre cadre, ont ici repris taille humaine. Le contraste est saisissant. Il nous est possible un instant de nous identifier à eux.

En déambulant silencieusement, nous interrogeons ces corps et ces visages qui ont façonné les idéaux de beauté masculine et féminine des sociétés occidentales. Les torses de guerriers larges, puissants et musclés côtoient de jeunes éphèbes aux courbes féminines. Les femmes aux profils quasi parfaits, ont des chevelures ondulées qui tombent dans un désordre savamment ordonné. Hommes et femmes drapent en partie leur nudité dans de fins tissus de lin retenus sur une épaule, laissant apparaître un sein qu’on voudrait caresser.

De cette beauté idéale et la délicatesse du travail des sculpteurs se dégage une impression de grande harmonie et de sérénité, néanmoins perturbée par quelques œuvres. Dans un coin, un pied géant soulève le gros orteil du pied gauche: signe de perplexité? De plaisir? De bonne ou de mauvaise augure? Ailleurs, une femme est debout, appuyée sur une colonne, enroulée dans un châle, le regard au loin : a-t-elle froid? A-t-elle peur? Est-elle terrorisée? Est-elle simplement pensive?

Il ne nous échappe pas non plus que la majorité de ces sculptures ont été abîmées, brisées, cassées, estropiées. Par des événements naturels ou historiques, par des tremblements de terre, des éruptions volcaniques, des foules en furie ou des transporteurs maladroits ? Certaines n’ont plus de nez, de phallus, de bras, de jambes, de pieds. Nombreuses sont les têtes sans corps et les corps sans têtes. Même si certaines d’entre elles ont été pansées, rafistolées, restaurées par des archéologues passionnés, la traversée des siècles reste décidément difficile et cruelle.

Enfin, quelques temps plus tard, en regardant attentivement les photos, je me suis aperçues que quelque chose m’avait totalement échappé : la lumière extraordinaire et froide provenant des immenses fenêtres de la Centrale. Comme le photographe du film Blow up de Michelangelo Antonioni qui, développant de banales photos d’un couple enlacé dans un parc public à Londres, découvre qu’il y a un cadavre en arrière-plan, je réalise brutalement que les fenêtres ressemblent à celles d’une prison. Ces sont des grilles géantes. Les ouvriers de l’époque ont-ils perçu l’usine comme une prison ?

Ce qui est certain, c’est que l’univers solaire grec et romain n’est plus là et que les travailleurs du siècle dernier ont déserté la place.

On le voit, cette confrontation entre l’ancienne Centrale électrique Montemartini et ces trésors archéologiques grecs et romains produit en nous des émotions et des réflexions multiples et complexes. D’un côté, elle chasse toute nostalgie de l’ère industrielle, c’est «l’effet Chaplin» doublé de «l’effet Antonioni». De l’autre, elle nous ramène à notre extrême fragilité d’êtres humains, à celles de nos œuvres d’art et de notre génie industrielle.

Ce musée mérite plus qu’un détour. C’est une occasion unique de réfléchir à l’histoire du monde occidental autrement.


Je tiens à remercier Monsieur Géraud Buffa, conservateur en chef du patrimoine, chercheur au service de l’Inventaire général et du patrimoine de la Région Provence-Alpes-Côte d’Azur dont l’étude sur La reconversion de la centrale Montemartini dans le quartier d’Ostiense à Rome m’a été très utile. Elle est téléchargeable en pdf.

Référence électronique: Géraud Buffa, «La reconversion de la centrale Montemartini dans le quartier d’Ostiense à Rome», In Situ [En ligne], 26 | 2015, mis en ligne le 06 juillet 2015, consulté le 12 août 2016.
URL: http://insitu.revues.org/11782
DOI : 10.4000/insitu.11782


Eliane Perrin
Maio 2017

Fotografias de Minnie Freudenthal e Manuel Rosário

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Escrito por

Dr. en sociologie, Eliane Perrin a été professeure et chercheuse en socio-anthropologie du corps et de la santé et en sociologie du sport aux Universités de Nice (France) et de Genève et de Lausanne (Suisse). Elle est à la retraite.

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Últimos Comentários
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    Magnifique article!